J’étais à Paris ces jours-ci et j’ai fait d’agréables rencontres artistiques et littéraires. De passage chez un ami professeur de composition musicale, j’ai rencontré Marie.
Marie est russe, blonde, belle et raffinée. Elle m’invite chez elle pour me faire rencontrer une personne « qui connaît bien le milieu russe de Paris », me dit-elle. Deux jours plus tard j’étais devant une jolie table à nappe blanche, couverte de vaisselle fine et de gâteaux colorés.
Les Russes savent recevoir et Marie ne fait pas exception. Les plats sont joliment décorés et tous posés en même temps sur la nappe qui attend…
Un peu plus tard arrive la personne « qui connaît bien le milieu russe de Paris » : une femme joyeuse aux yeux rieurs, fine et chaleureuse. Elle parle vite; son accent est certes russe mais on dirait qu’il a pris les couleurs de l’Italie. Eh oui, son mari est italien…
Lioudmila me questionne :
– Depuis quand est-ce que vous chantez ?
– Depuis toujours… Je crois que je chantais déjà dans le ventre de ma mère !
– Et quelles chansons russes chantez-vous ?
Là, je sors mon cahier de chants et nous feuilletons ensemble les pages couvertes de cyrillique. Au passage elle fredonne quelques airs : Ludmila aime chanter elle aussi.
– Chantez-moi quelque chose, Véronika !
J’avais prévu… D’ailleurs, je ne me déplace jamais sans ma guitare. Je prends toujours une petite guitare, une guitare pour enfants, plus légère et moins encombrante lorsque je voyage. Ma petite guitare sur les genoux, je pince quelques cordes, cale mes doigts entre les frettes plus serrées du manche… et me voilà partie pour un mini concert improvisé :
– « Kroutitsia, Viertitsia », un chant d’amour virevoltant à l’écharpe bleue mystérieusement transformée en globe terrestre… tous les russes connaissent ce chant et ils sont souvent étonnés de l’entendre chanté par une française. Alors je ne me prive pas de l’interpréter !
– « La prière de François Villon », de Boulat Okoudjava… un chant profond et touchant qui est un appel à la clémence et au pardon.
– « Le tourbillon du temps » et « Blanche plaine » deux de mes compositions en français, aux airs musicaux russes. Le premier chant parle du temps qui passe… mystère et nostalgie qui se transforment en danse folle, sans retenue, à la russe. Le second chant est une composition autour d’un poème russe d’Afanassi Fet, poète lyrique du 19ème siècle.
– « L’Albatros » d’après le poème de Baudelaire que j’ai mis en musique et transformé en chanson.
Puis j’ai conté « La fille soleil », à la demande de Lioudmila qui voulait tout savoir…
« Il était une fois un voyageur qui avait voyagé jusqu’au bout du monde, là où le ciel et la terre se rejoignent. Il avait frappé à la porte de la dernière Isba, la toute dernière… »
Les mains de Lioudmila se sont mises à danser devant elle, et je dois dire qu’elle n’a pas été avare de compliments. C’est une chose que j’avais un peu oublié : les Russes sont très généreux en compliments. Ils trouvent toujours un mot gentil et valorisant qui crée la sympathie et l’ouverture du coeur. Dieu que c’est bon… !
Et c’est ainsi que j’ai été invitée à une soirée de l’association littéraire « Glagol ».*
Jeudi 7 novembre 2013
J’avais rendez-vous vers 17H chez Lioudmila*. En plein centre de Paris j’arrive dans un très bel appartement, décoré avec goût : élégance et raffinement des couleurs. Un piano et une guitare dans le séjour… pour les soirées joyeuses et musicales !
Le séjour s’ouvre sur une grande table prête à recevoir les invités. D’ailleurs une jeune femme est déjà là, professeur de russe à l’université du Havre et au joli nom de Paulina. Elle est russe bien sûr, belle, et même très belle. Lioudmila nous offre un gâteau russe au fromage blanc, léger et décoré d’un coulis de framboise : Vatrouchka*.
Arrive une troisième invitée : Rozinka*, la petite rose… Rozinka a un look américain, ce qui étonne de la part d’une Russe. De longs cheveux sauvages retenus par de simples barrettes, un air direct et délicat à la fois, une voix d’enfant. Rozinka est professeur de littérature comparée russe-français-anglais à l’université de Chicago. Egalement poétesse, elle a publié un recueil de poèmes en russe et en anglais, qu’elle est en train de faire traduire en français. Il sera prochainement en vente.
Nous voici toutes les trois dehors. Deux parapluies pour quatre femmes qui marchent en riant le long des vieilles pierres de Paris. Ici on me montre un café célèbre où se réunissaient les Russes blancs de Paris, des écrivains et des peintres…
– C’est « la Coupole » me dit Paulina, la belle jeune femme professeur de russe. Et là, c’est le quartier russe, le 15ème arrondissement. Mais aujourd’hui les Russes n’ont plus de quartier et sont disséminés un peu partout !
Nous arrivons boulevard Montparnasse devant le restaurant « Vatrouchka »* qui ouvre ses portes pour l’association Glagol.
Une trentaine de personnes sont déjà là. Vladimir Serguéiévitch*, le président de l’association, également poète et traducteur, nous reçoit chaleureusement et nous invite à nous installer dans un coin du restaurant où les tables ont été mises en demi-cercle autour d’une scène de circonstance et d’un piano électrique.
Que la soirée commence !! Tout en russe, naturellement… car l’assemblée est russe.
D’abord les discours, car les Russes ne se réunissent jamais sans faire un ou deux discours. Pendant les repas tout est prétexte à porter des toasts… c’est sans doute grâce à la vodka que les Russes savent si bien trouver les bons mots. A moins que ce ne soit le contraire…
Oh, quel ballet de talents, de rires, d’humour et de joie ! Les uns ont chanté, d’autres ont joué du piano, moi de la guitare, d’autres encore ont déclamés des poèmes, beaucoup de poèmes… Car les Russes ont souvent une âme de poètes. Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas tout compris. Mon russe me permet de suivre une conversation normale, mais guère de comprendre les nuances profondes d’un poème déclamé. Mais quel plaisir de regarder les visages, les sourires, les applaudissements spontanés, et les mimiques des récitants ! Oui, les Russes expriment leurs émotions et leurs sentiments plus facilement que les Français. Je le savais, mais je l’avais un peu oublié…
J’ai eu l’honneur d’ouvrir la soirée… Me voici donc juchée sur un tabouret, ma guitare à la main. Que chanter devant un public de poètes ? Des poèmes ! Mes compositions personnelles sont assez souvent poétiques et j’ai composé une chanson qui illustre un poème d’Afanassi Fet, poète lyrique du 19ème siècle. Dans cette chanson je chante le poème en russe et en français… et je l’ai dédié à mes amis russes de jeunesse. La chanson s’appelle « Blanche plaine » :
Quand je pense à vous, mes amis…
Quand je pense à vous, dans la nuit…
Je revois la plaine, si blanche,
Les bouleaux en peine, brillants,
Aux carreaux des cristaux d’argent,
Et le thé, brûlant, qui attend…
Que tout, blanche plaine,
En toi, me séduit,
La lune si pleine,
L’éclat de la nuit,
L’éclat de la nuit…
Ce ciel, cette terre,
Où la neige luit,
Où loin, solitaire,
Un traineau s’enfuit…
Quand je pense à vous, mes amis…
Quand je pense à vous, dans la nuit…
J’entends vos voix chaudes, et douces,
Couler en moi, comme une source,
J’entends au loin vos coeurs chanter,
Dans la nuit, seuls, murmurer…
Чудная картина
Как ты мне радна
Белая равнина
Полная луна
Полная луна
Свет небес высоких
И блестящий снег
И саней долеких
Одинокий бег
Одинокий бег
Одинокий бег
Puis j’ai chanté un poème de Baudelaire que j’ai mis en musique : « L’Albatros« .
Liudmila m’a demandé de chanter « Le tourbillon du temps« , une de mes compositions, où il est question du vent comme allégorie du temps qui passe et nous entraîne. Elle m’a fait remarquer que le vent était souvent présent dans les chansons françaises, ce qui n’est pas le cas dans la culture russe ! J’ai également chanté « Un monde enchanté », une chanson que j’ai composé récemment et que j’aime beaucoup, où il est question d’ondines, de fées, de sylphes et autres petits esprits de la nature. Les Russes sont restés très proches de la nature et on dit que dans chaque citadin sommeille un homme de la terre. Enfin ils m’ont demandé de chanter « Otchi tchornié », les yeux noirs… un classique de la chanson russe.
Il y avait parmi l’assemblée un couple d’artistes venus spécialement de Moscou pour participer à un concours – qu’ils ont gagné ! – : D’un âge très respectable – l’homme aurait 86 ans d’après les rumeurs… et n’en paraît guère plus de 60 -, minaudant l’amour avec beaucoup de talent, ils ont chanté et joué des airs d’opéra avec tant d’humour et de bonheur que j’y pense encore avec émotion. J’ai vu ce jour-là une très belle femme, bien qu’âgée.
La soirée s’est terminée en danses virevoltantes et spontanées, débordements festifs à la russe puis embrassades chaleureuses et compliments… Oui, j’aime les Russes et cela faisait longtemps que je ne m’étais pas retrouvée dans une assemblée si joyeuse et sympathique. Merci !